La fin des mots et le règne de la vidéo ?

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La vidéo aura supplanté l’écrit d’ici cinq ans sur Facebook, a prédit un représentant du réseau social cette semaine. Il est facile d’effacer le tableau pour le rendre totalement noir, ou plutôt dans ce cas, en faire une page blanche.

Mais voyons ce que l’érudit italien Umberto Eco avait à nous dire : « L’ordinateur est devenu avant tout un instrument alphabétique. Sur l’écran défilent des mots et des lignes ; pour se servir d’un ordinateur, il faut savoir lire et écrire », expliquait-il en 2003 lors d’une conférence prononcée à la bibliothèque d’Alexandrie, essayant de raisonner cette « peur éternelle : celle qu’une nouvelle réalisation technologique ne tue une chose que nous jugeons précieuse et féconde ».
La prophétie faite par Facebook en rappelle une autre, formulée dans les années 1960. A cette époque, la télévision devait tuer le livre. Marshall McLuhan publiait La Galaxie Gutenberg, où il annonçait, écrit Eco, « que la forme de pensée linéaire sous-tendue par l’invention de l’imprimerie était en passe d’être évincée par une forme de perception et de compréhension plus globale à travers des images et d’autres espèces de moyens électroniques. »
C’était alors un renversement de l’histoire, rappelait Eco puisque, cinq siècles plus tôt, l’imprimerie devait tuer les images. Le sémiologue se replongeait dans le XVe siècle du Notre Dame de Paris de Victor Hugo pour décrire la peur du prêtre Frollo. Il craignait de voir les textes imprimés supplanter les images des cathédrales. Tableaux et vitraux étant « la seule chose qui pût faire connaître aux masses les histoires de la Bible, la vie du Christ et des saints, les principes moraux, voire les épisodes de l’histoire nationale ou les notions les plus élémentaires de géographie et de sciences naturelles ».
Et déjà dans l’Antiquité, l’écriture devait tuer la mémoire. Dans le Phèdre, Platon ironise sur la peur du pharaon Thamous face à l’invention de l’écriture. Fasciné par « cette technique inouïe censée permettre aux hommes de se rappeler ce qu’autrement ils oublieraient », écrit Eco, Thamous n’en est pas moins contre une invention qui « engourdirait la faculté humaine qu’elle prétendait remplacer et renforcer ».